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Du thé pour les fantômes

de Chris Vuklisevic | ed. Denoël
427 pages | Fantasy Niçoise

4è de couv

« Quand on est vivant, on occupe les places que les morts ont laissées. C’est la règle. »

Agonie est sorcière. Félicité, passeuse de fantômes. Le silence dure depuis trente ans entre ces deux filles de berger, jusqu’au jour où la mort brutale de leur mère les réunit malgré elles.

Pour recueillir ses derniers mots, elles doivent retrouver son spectre, retracer ensemble le passé de cette femme qui a aimé l’une et rejeté l’autre. Mais le fantôme de leur mère reste introuvable, et les témoins de sa vie, morts ou vivants, en dessinent un portrait étrange, voire contradictoire.

Que voulait-elle révéler avant de mourir ? Qui était vraiment cette femme fragmentée, multiple ?

Leur quête de vérité emmènera les sœurs des ruelles de Nice au désert d’Almería, de la vallée des Merveilles aux villages abandonnés de Provence, et dans les profondeurs des silences familiaux.

Entrez dans le salon de thé. Prenez une tasse chaude à l’abri de la pluie. Écoutez leur histoire.

Une quête intime où la poésie des contes infuse le réel.


Mon avis

Je retrouve avec un immense plaisir l’autrice des derniers jours d’un monde oublié que j’avais dévoré et adoré. Je l’attendais au tournant tout en essayant de ne pas l’attendre au tournant (toi-même tu sais) et elle ne m’a pas du tout déçu. Les deux romans sont très différents et pourtant semblables. On sent des racines communes ^^. Et si les premiers chapitres m’ont fait croire (les fourbes) que la balade serait beaucoup plus légère et lumineuse que Les derniers jours d’un monde oublié, l’obscurité m’attendait, elle aussi, au tournant 😆.

L’histoire se déroule à Nice et ses alentours et elle nous est racontée par un archiviste dans un salon de thé pour fantômes. Surpris par une pluie torrentielle, nous avons trouvé refuge dans ce salon et notre narrateur va en profiter pour nous conter l’histoire de deux soeurs, d’une mère-tempête, d’un village itinérant dans la Vallée des Merveilles, de non-dits tellement refoulés qu’ils empestent la charogne et pleins d’autres choses tour à tour merveilleuses et terribles.

Félicité est une passeuse d’âmes réputée à Nice. Quand une personne meurt au milieu d’une phrase, son fantôme reste coincé dans notre réalité. Le rôle de la passeuse consiste à localiser l’âme errante, lui servir un thé approprié pour lui délier la langue, lui faire finir sa phrase et pouf! la faire passer de l’autre côté. Elle fait ça depuis trente ans. Ça et s’occuper de sa mère, Carmine, totalement perdu dans sa tête et qui refuse de quitter son petit village reculé au pied du Mont Bégo. Ça et ne pas penser à sa soeur jumelle qui a disparu depuis autant d’années sans donner de nouvelles.

Le jour où sa mère meurt, elles ont une violente dispute et cette dernière ne peut finir de lui dire ce qu’elle voulait lui dire. Félicité sait ce que ça signifie. Elle envoie donc un message à sa soeur (sans trop y croire) et décide de partir à la recherche du fantôme de Carmine. Contre toute attente, après des années de silence, Egonia répond. Egonia, « l’autre » que Carmine a toujours rejeté et détesté (je ne veux pas trop en dire sur Egonia, je vous laisse la découvrir, c’est un sacré personnage qui n’a vraiment pas eu une enfance/vie facile, dans le genre maltraitance et trauma, ça se pose). Elles ont plein de choses à régler entre elles et avec leur mère sauf que le fantôme de cette dernière est introuvable. Elles vont donc partir à sa recherche et plonger dans le passé de cette mère femme-enfant, manipulatrice et égoïste qui s’est caché toute sa vie derrière mille masques et mensonges, qui a rejeté une de ses filles pour mieux étouffer l’autre et qui s’est perdue en chemin.

On vient de pénétrer dans la vallée des Merveilles.

Attendez ; ne vous réjouissez pas trop vite.

Ici, la merveille, la meraviglia, ce n’est pas la féerie : c’est la chose étrange. C’est l’impression que quelqu’un marche derrière vous. C’est la surface du lac du Tremblement qui s’agite sans brise. L’orage qui explose en plein ciel bleu quand vous passez le val de la Masque. La spirale gravée sur le col du Diable, plus vieille que ce monde et les mondes d’avant, qui vous envoûte à vous faire oublier le chemin du retour. 

Qu’est-ce que j’aime la plume de Chris Vuklisevic ! Je ne compte plus les passages que j’ai surlignés. C’est sensoriel, lumineux, avec une jolie dose d’humour. Je l’avoue humblement, Nice et sa région ne m’ont jamais attiré, mais là… ça donne envie de s’y perdre, d’être surpris par la pluie et de plonger dans le premier salon de thé qui se présente !

En dehors des deux soeurs et de cette mère qui me rappelle beaucoup trop quelqu’un 👀, on va rencontrer des fantômes (plus ou moins de bonne compagnie), la très estimée association des liseurs de tombes, la théilogue-archiviste (ce passage-là est magique, il faut attendre la moitié du bouquin pour y arriver, mais ça vaut le coup rien que pour la cabane à thé et le troupeau de théières sauvages) et plein d’autres personnages tout aussi savoureux et haut en couleur.

Les relations mère/fille et soeur/soeur sont d’une justesse… c’est émouvant et douloureux à la fois 💔. Les passages sur leur enfance sont très durs et heureusement que la voix du narrateur, légère et chantante, est là pour nous tenir la main. Heureusement qu’il y a toutes ces merveilles dignes d’un conte pour nous offrir une échappatoire. C’est un chemin de retrouvailles et de pardon que les deux soeurs vont parcourir et c’est quelque chose qui a fait écho en moi.

Je manque cruellement d’objectivité sur cette lecture tant je l’ai adoré… 🙈 Ce mélange de réalisme magique et de fantastique fleurant bon la Provence, cette enquête d’archives en cimetières jusqu’au fin fond d’un désert enchanté, c’était juste parfait 🖤🥰.

Après ça, qu’est-ce qu’on a d’autre à faire que se taire, se laisser oublier et allumer des cierges, en espérant que les malédictions ne trouvent pas notre nouvelle adresse ? 

8 réflexions au sujet de “Du thé pour les fantômes”

  1. Je viens de terminer « Sous la porte qui chuchote » de T.J. Klune, c’est incroyable le nombre de résonances entre les deux pitchs. Bon, juste sur les pitchs par contre, le reste a l’air bien plus prometteur ici. Ça donne très envie, et j’étais convaincu avant même l’argument massue du troupeau de théières sauvages !

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    1. Ah oui, c’est le jour et la nuit ! « Du thé pour les fantômes » est à des années lumières de « Sous la porte qui chuchote ». Ce dernier est de la romance gentillette (sans vouloir trop taper sur Klune, on l’aime bien quand même ^^’) alors que Chris Vuklisevic nous embarque dans les méandres d’un récit familial, du poids d’un héritage, tout ça dans un coin de France cruel, magique et lumineux. On est loin des bons sentiments et du feel-good, même s’il y a de chouettes moments ^^.

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      1. En ce moment je régule mes lectures : un truc sérieux ou sombre, un truc léger… Mais des fois on se laisse avoir par un Babel qui avait l’air plus léger que ca 😉
        Bref pourquoi pas 🙂

        Aimé par 1 personne

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