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Pierre-de-vie

de Jo WALTON | ed. Denoël | Fantasy | 330 pages

4è de couv

Applekirk est un village rural situé dans les Marches, la région centrale d’un monde où le temps ne s’écoule pas à la même vitesse selon que l’on se trouve à l’est ― où la magie est très puissante et où vivent les dieux ― ou à l’ouest ― où la magie est totalement absente. C’est la fin de l’été, et la vie s’écoule paisiblement pour les villageois. Mais le manoir va être mis sens dessus dessous par le retour de Hanethe, qui fut autrefois la maîtresse des lieux. Partie en Orient, elle y est restée quelques dizaines d’années. Mais, plus à l’ouest, à Applekirk, plusieurs générations se sont succédé. Ayant provoqué la colère d’Agdisdis, la déesse du Mariage, Hanethe a fuit. Mais Agdisdis est bien décidée à se venger.


Mon avis

Avec Pierre-de-vie, je suis tombée sur une lecture extrêmement rare, la première du genre pour moi (en tout cas en Fantasy). Ce que l’autrice, elle-même, appelle la Domestic Fantasy ou ce que la Geekosophe nomme très justement de la Fantasy champêtre 😄. C’est bucolique, très calme, contemplatif et centré sur le quotidien, le banal. En ça, ça me rappelle énormément L’espace d’un an de Becky Chambers que j’avais adoré. Cependant, je sors de ma lecture un chouïa partagée. Là où Becky Chambers a su décrire des relations amoureuses intéressantes, Jo Walton m’a perdu.

L’entièreté du récit se déroule au manoir d’Applekirk, petite bourgade paisible et rurale des Marches de l’Ouest. On y suit principalement Taveth, la concubine de Ferrand, le seigneur locale, dont la pierre-de-vie est de s’occuper du manoir. Elle est littéralement le foyer de cette demeure et de cette famille que l’on va découvrir à travers elle. Un jour, deux personnes viennent perturber la tranquillité du lieu : Hanethe, l’arrière-grand-mère de Ferrand de retour d’Orient avec une déesse furieuse à ses trousses et Jankin, un jeune savant venu étudier les légendes locales qui fera dangereusement tourner la tête aux femmes du manoir.

Avec Pierre-de-vie, Jo Walton développe plusieurs aspects très intéressants qui me semble indispensable de vous décrire afin que vous puissiez entrer sereinement dans ce récit. Tout est centrale et immobile : quasiment tout se passe dans la cuisine, le foyer qui est au centre de la maison qui est au centre du village qui est au milieu de ce monde. Le monde tourne autour, le traverse mais Applekirk ne bouge pas. Taveth ne bouge pas.

  • Le voyage à travers les autres : comme je l’ai dit un peu plus haut, jamais, on ne quittera Applekirk, son manoir, ses champs et ses habitants. On découvrira tout ce qu’il y a à savoir sur cet univers bigrement intéressant à travers les voyageurs. C’est frustrant mais ça sert un propos.
  • Le temps, comment il s’écoule et comment il est raconté, est primordiale dans ce récit. Dans ce monde, le temps s’accélère à l’Est et ralenti à l’Ouest, Applekirk se trouvant au milieu. Dès que vous voyagez, votre temporalité s’altère : vous vieillirez plus ou moins. Ce qui permet d’avoir une ancêtre du même âge que son descendant, par exemple. Autre particularité et tour de force de la part de Jo Walton : tout est écrit au présent. L’autrice s’amuse à passer d’une ligne temporelle à l’autre comme si tout se passait en même temps. Cela demande un temps d’adaptation mais une fois fait, c’est étrangement libérateur. On n’est ni dans le passé (ouest) ni dans le futur (est) mais, encore une fois, au centre.
  • La yeya : ou la magie qui est inexistante à l’Ouest et saturée à l’Est où vivent les Dieux. Toute personne vivant au-delà de l’Ouest a la possibilité de développer sa yeya. Certains ont des petits pouvoirs (faire léviter les objets, garder au frais des aliments, etc) quand d’autres s’avèrent être très puissants et vont généralement très vite vers l’Est pour maîtriser leur yeya, comme Hanethe.
  • La pierre-de-vie : une notion clef de voûte au point de donner son nom au récit. C’est le sens qu’une personne donne à sa vie. Pour Taveth c’est s’occuper du manoir. Pour d’autres, ça pourra être d’enseigner, s’occuper de la terre, devenir érudit, etc. Une fois que l’on trouve sa pierre-de-vie, on trouve sa place dans le monde.
  • Le modèle familial et la notion d’amour : l’autrice nous propose de repenser complètement le modèle familiale habituel. Le polyamour est quelque chose de totalement banal, accepté et consommé. Les enfants nés de ces différentes unions sont élevés par tous les adultes de manières égales. Jo Walton, à mon avis, montre plutôt les limites et la fragilité d’un tel système avec le grain de sable (irritant au possible) qu’est Jankin.

Voilà les principales notions qui régissent l’univers du récit et le rendent unique et passionnant. J’ai adoré Pierre-de-vie pour tous ces aspects. Jo Walton sait rendre la banalité merveilleuse. Elle a su créer un monde solide et tellement intéressant. J’ai savouré tous ces moments du quotidien dans la cuisine, ces petits bonheurs qui font du bien à l’âme.

Là où je suis plus partagée, c’est au niveau des personnages et bien sûr au niveau du triangle amoureux avec Jankin. J’ai eu du mal à vraiment m’attacher aux personnages ou à m’émouvoir de ce qui leur arrive. J’avais de l’empathie pour Taveth mais c’était compliqué par moment. J’ai une relation plutôt conflictuelle avec la figure de la mère au foyer, ce qui n’aide pas. Je comprends ce qui motive Taveth, ses angoisses, ses bonheurs, ses envies, et c’est bien qu’un roman se concentre sur ça pour une fois. Mais qu’est-ce que j’avais envie de la secouer parfois ! Et ne me lancez pas sur Jankin et l’Amuuuuur qui transforme des personnages féminins intéressants en idiotes finis. Je n’ai plus compté le nombre de fois où j’ai levé les yeux au ciel durant la dernière moitié du livre. Bref, c’est un grand NON en ce qui me concerne. C’est mon 1er livre de Jo Walton donc je ne sais pas si c’est tout le temps comme ça chez elle mais j’ai trouvé ça tellement dommage.

Cependant, Pierre-de-vie mérite que je n’en garde que les bons côtés. Ceux qui m’ont transporté dans les Marches, dans cette cuisine qui sent bon le retour chez soi. Et j’espère que, malgré mes quelques ronchonnements, cet article vous aura donné envie de vous y arrêter aussi.


D’autres avis :

12 réflexions au sujet de “Pierre-de-vie”

    1. ça peut se tenter hein ! 😉 Faut pas oublier que je suis particulièrement chiante/compliquée sur les perso féminin et l’amour 😂. De mon côté, je pense que je retenterai du Jo Walton sans problème mais le pitch de « Mes vrais enfants » ne me parle pas trop… A voir ^^.

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  1. Etonnant choix de premier Jo Walton. C’est un hasard ?
    Chouette billet en tout cas.
    Parfois Jo Walton crée des personnages un peu pénibles (et donc possiblement aussi dans les relations amoureuses), j’avais ressenti ça dans la trilogie du subtil changement (dans le 2 et le 3 principalement) mais je sais pas, l’intrigue et les thématiques prennent le pas dans ce genre de cas.

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    1. Dans sa biblio, c’était le seul qui se déroulait dans un univers vraiment Fantasy et qui me donnait envie. Cela reste malgré tout une très belle découverte, elle a une plume superbe et j’espère que dans ses futurs écrits, il y aura des choses qui me tenteront :D. Je tenterai peut-être « Mes vrais enfants ».

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  2. Je suis tristesse que tu n’aies pas pleinement apprécié, j’aurais plutôt misé sur le contraire, mais ça reste un livre un peu particulier. De mémoire lacunaire, le problème ne se pose pas vraiment dans « Mes vrais enfants » (son chef-d’oeuvre) – ou s’il existe il a du sens et est contrebalancé.

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    1. Nooooon ne soit pas tristesse (envoi d’ondes positives et de mignon 🌈🐣🐶). Je considère l’autrice comme une valeur sûre et j’explorerai éventuellement ses autres oeuvres avec plaisir :).

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    1. Je sais que je suis chiante en matière de relations amoureuses et perso féminin donc mes critiques à ce niveau-là sont vraiment à prendre avec de grosses pincettes 😅. Mais à part ça, quel univers et quel talent narratif, en effet ! C’était génial 😄.

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  3. Beaucoup aimé pour ma part, mais je me retrouve bien dans les problématiques de Taveth, ça explique sans doute le coup de coeur. Je plussoie mes collègues pour Mes vrais enfants et Morwenna. Les griffes et les crocs est sympa si tu aimes les pastiches de romans victoriens sinon (mais tu risques de râler sur les relations amoureuses ^^).

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