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Les Abysses

de Rivers Solomon | ed. Aux Forges de Vulcain | Fantasy | 193 pages | Lu en VO

4è de couv

Lors du commerce triangulaire, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à l’eau. Mais en fait, toutes ces femmes ne sont pas mortes. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l’une d’entre elles, Yetu, va leur rappeler.

Rivers Solomon est une personne transgenre, née aux Etats-Unis, qui vit désormais en Grande-Bretagne. Elle a rencontré le succès avec son premier roman : L’incivilité des fantômes.

Mon avis

Les Abysses est une novella qui aborde un sujet extrêmement lourd et puissant : la mémoire collective d’un traumatisme au-delà de toutes mesures. Ici, il s’agit de l’esclavage africain, plus précisément celui provenant du commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques. Oui oui oui, je cumule les lectures légères et feelgood ces derniers temps… et quand je regarde ma PAL, ça ne va pas s’arranger de suite 👀.

Pour commencer, je trouve très dommage que la nature et les origines de ces créatures nous soient révélées dès la 4è de couverture. On nous enlève d’entrée une découverte majeure. Les trois premiers chapitres auraient franchement gagner en puissance à ce que je ne sache rien. Heureusement que le talent de Rivers Solomon contrebalance ce malheureux divulgâchage.

Les Wajinru sont un peuple de créatures marines ressemblant un peu à nos sirènes. Ils vivent paisiblement au fin fond des abysses, très loin des « deux jambes » dont ils ont appris à se méfier, en totale insouciance et symbiose avec l’océan qui les a vus naître et nourris depuis toujours. Cette totale liberté, ils l’ont gagné en oubliant leur passé. Seul leur Historien sait. Ce wajinru est le seul détenteur de toutes les mémoires de son peuple depuis leurs origines. Il est le seul à savoir d’où ils viennent et tout ce qu’ils ont traversé. Non seulement il sait tout, mais il ressent tout en permanence. Toutes ces vies, toutes ces joies mais surtout toutes ces souffrances. Yetu est l’actuelle Historienne. Choisie très jeune, elle vit extrêmement mal ce fardeau. Être habitée/chevauchée par des milliers de mémoires fantômes n’a rien d’évident et détruit progressivement la jeune créature qui ne sait plus qui elle est et se sent utilisée, sacrifiée par un peuple qui ne peut pas la comprendre.

Tous les cycles, a lieu une grande commémoration du souvenir où l’Historien se connecte à tous les wajinru pour leur transmettre, le temps de quelques jours, leur mémoire collective. C’est le seul moment où ce peuple insouciant revit toute son Histoire. Le seul moment où l’Historien est soulagé de son fardeau… temporairement. Au bord de la rupture, Yetu va profiter de ce moment pour commettre l’irréparable.

Normalement, une novella de cette taille ne me dure pas longtemps, deux soirées tranquilles à tout casser, mais pas là. La lecture m’a été difficile de par le sujet mais pas que. J’ai éprouvé énormément de colère, non seulement envers ce qu’ont vécu les wajinru mais aussi (et surtout) sur ce qu’ils font subir à Yetu, déchirée entre un devoir qui la dépasse, son identité, ses envies et sa survie. Il m’a donc été nécessaire de faire de longues pauses pour digérer l’expérience.
Le récit même est fracturé comme l’esprit de Yetu, entre les souvenirs des précédents Historiens, l’Histoire des wajinru et le présent. La Mémoire va se dévoiler par à coup, monter à la surface, en même temps que j’ai eu la sensation de sombrer de plus en plus profondément dans cet abysse, d’être enveloppée par l’océan pour enfin lâcher prise. Rivers Solomon a une très belle plume et sait nous guider, nous laisser à la dérive pour mieux nous récupérer ensuite.

C’est définitivement une très belle lecture, difficile, bouleversante et qui ne peut laisser indifférente. À éviter dans les périodes de blues ou de fragilité émotionnelle, mettre de l’eau de mer sur des blessures n’a jamais été une bonne idée 😅. Sinon, à lire absolument, pour toutes ces qualités ou au moins pour cette ode magnifique à l’océan.


D’autres avis

8 réflexions au sujet de “Les Abysses”

  1. C’est fort quand même de ne pas perdre le lecteur en lui infligeant pourtant de tels coups de poings dans le ventre.
    Tu sais si la quatrième de couverture française « divulgache » aussi comme l’originale ?

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    1. La 4è de couv en vf est la même oui. C’est sûrement une volonté des éditeurs et/ou de l’autrice d’harponner d’entrée le potentiel lecteur avec une thématique forte. Ça marche vu que c’est ce qui m’a attiré mais en lisant l’histoire, c’est dommage d’avoir sacrifié cette révélation sur l’autel du marketing. :/

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    1. C’est une excellente stratégie ! ça évite les trop grandes déceptions quand le résultat n’est pas à la hauteur de ce qu’on espérait 😅. Dans tous les cas, je te souhaite une très bonne lecture 😊.

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      1. Oups, j’ai oublié ton lien dans mon article ! Bon alors du coup après lecture : je pense que j’aurais mieux fait d’attendre encore. Au delà du divalgâchage de la 4ème sur lequel je suis d’accord (même si je lis rarement les 4ème), c’est étrange, mais cet aspect de colère n’est pas trop arrivé jusqu’à moi. Il y a définitivement une empathie qui n’a pas fonctionnée ^^

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      2. Oh mince, j’ai oublié de mettre ton article dans les liens !
        Bon alors après lecture : j’aurais du attendre plus longtemps. La 4ème ne m’a pas trop gênée vu que je les lis rarement, mais il y a clairement une empathie qui ne s’est pas faite avec la narratrice, et je n’ai pas vraiment ressenti cette colère autrement que comme une colère d’adolescente.

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  2. C’est « marrant », je n’ai pas du tout perçu cet aspect de divulgâchage à ma lecture, la découverte de cet aspect ne m’a pas manqué. Je me demande aussi si ce n’est pas aussi une réflexion de l’ordre d’être bien sûr que le lecteur s’engouffre dans ce sujet en toute connaissance de cause, un peu une sorte de trigger warning.
    Je comprends la colère, j’en ressenti aussi, au travers de Yetu. Je trouvais ça injuste qu’elle ait à porter ça toute seule. D’un autre côté quand elle laisse tout le monde en plan avec les conséquences possibles que ça peut avoir, j’étais là « c’est tout de même un peu égoïste comme comportement ». Enfin je trouve ça montre vraiment l’ambivalence par rapport à cette mémoire traumatique. Non, vraiment bien fichu ce livre, ça fait beaucoup réfléchir.

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    1. Ça fait énormément réfléchir sur ce que peuvent vivre les descendants de tels traumatismes. Je pense qu’ils/elles sont tout aussi déchiré/es que peut l’être Yetu entre revendiquer, subir, fuir, transformer cet héritage/mémoire.
      Et tant mieux si tu n’as pas ressentis ça au niveau de ce warning. Avec un peu de recul, je comprends pourquoi c’est mentionné :).

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